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mardi 2 mars 2021

Arrestation à L’Ile-Saint-Denis : comment les policiers ont échappé à des poursuites pour violences

 Un seul agent est poursuivi pour les faits survenus lors de l’interpellation de Samir E., en avril 2020 à L’Ile-Saint-Denis, révélés par la vidéo d’un riverain. Son procès est prévu le 4 mars. Les violences ne sont pas suffisamment caractérisées pour la justice.

par Ismaël Halissat
publié le 2 mars 2021 à 11h55

«Un bicot comme ça, ça nage pas.» Ces quelques mots, captés en pleine nuit par la vidéo d’un riverain, sont venus étayer les accusations de racisme dans les rangs policiers. La scène se déroule en avril 2020, en pleine nuit, en Seine-Saint-Denis. A la vue de la police, Samir E., un immigré égyptien, prend la fuite et traverse la Seine à la nage. Il est interpellé sur l’autre rive par des agents. Quand la séquence débute, Samir E. est menotté et emmené à un véhicule de police. Un policier lance alors : «Un bicot comme ça, ça nage pas.» Son collègue complète : «Ça coule, t’aurais dû accrocher un boulet aux pieds.»

Mais la vidéo ne s’arrête pas là. Une fois dans le fourgon, il n’est plus possible de voir ce qu’il se passe mais on entend, entre autres, des bruits semblables à des coups, des cris de Samir E. et des rires des policiers. Libération révèle le contenu de l’enquête judiciaire menée sur ces faits. Les investigations ont abouti au renvoi devant la justice d’un seul policier, pour injure raciste. L’audience est prévue le 4 mars. Concernant les violences, les policiers ont tous déclaré, lors de leurs auditions, qu’aucun coup n’avait été porté à Samir E. Les faits n’apparaissent donc pas suffisamment caractérisés aux yeux du parquet de Bobigny.

«Coups de pied, de poing ou de matraque»

Samir E. est à bord d’un véhicule avec «deux amis», le 26 avril, vers 2 heures du matin, quand il prend la fuite, à pied, vers la commune de L’Ile-Saint-Denis. La police suspecte les trois hommes d’avoir cambriolé un chantier voisin. Le pays est alors confiné et chaque déplacement doit être justifié. Samir E. se jette dans la Seine. «J’avais peur d’être frappé par la police, j’avais eu une mauvaise expérience en 2017, avec des policiers porte Maillot à Paris, c’est donc pour ça que je me suis enfui», explique le plaignant à l’Inspection générale de la police nationale (IGPN), lors d’une audition le 4 mai. Il est repêché sur l’autre rive par plusieurs agents.

«Une fois sur le bord, allongé et menotté, j’ai subi des violences de l’ensemble des policiers présents, ils devaient être 7 ou 8, poursuit-il. Tous m’ont donné des coups de pied, de poing ou de matraque sur tout le corps.» Puis Samir E. est relevé et conduit à fourgon de police. «Sur ce trajet, tous les policiers présents, un par un, m’ont donné un ou plusieurs coups de pied ou coups de genou dans les jambes, je suis tombé deux fois à terre, et j’ai été relevé», assure-t-il aux enquêteurs de l’IGPN. Auditionnés sur cette première séquence de l’interpellation, les policiers nient les violences et expliquent l’avoir simplement menotté. Cette partie des faits n’apparaît pas sur la séquence vidéo des riverains, révélée le jour même par le média Là-bas si j’y suis.

La vidéo débute quand Samir E. est déjà proche du véhicule. C’est à ce moment-là que l’on entend le policier Pierre C. prononcer ces propos qui lui valent d’être renvoyé devant la justice pour injure raciste : «Un bicot comme ça, ça nage pas.» Entendu en audition libre comme le reste de ses collègues, il explique qu’il s’agissait là d’une «blague déplacée pour détendre l’atmosphère suite à l’interpellation». Interrogé sur la signification de ce terme, l’agent répond que «c’est un terme péjoratif pour désigner un homme de type nord-africain mais, dans [son] vocabulaire, ce n’est pas une insulte, c’est un terme familier». Le policier répète qu’il s’agissait de «faire marrer la galerie» et qu’il «aime travailler dans la bonne humeur». Son collègue Dorian A. qui lui répondait «t’aurais dû accrocher un boulet aux pieds», affirme aussi que c’est une «blague potache», une «plaisanterie». Tout comme son collègue Pierre C., il avait été suspendu administrativement, mais lui n’a pas été poursuivi par la justice pour injure raciste.

«Fallait pas qu’il se blesse»

Après cette séquence, les policiers arrivent près de leur véhicule. «J’ai été mis à l’arrière du camion de police, j’ai été jeté à terre, face contre sol et j’ai encore une fois reçu des coups dans le camion», détaille le plaignant, qui n’a pas été poursuivi après sa garde à vue pour vol. Son récit semble corroboré par la vidéo des riverains. Elle permet d’entendre plusieurs bruits sourds, Samir E. crier et même se plaindre d’avoir été frappé. Mais de leur côté, les policiers vont livrer une version des faits bien différente. En bloc.

Les bruits sourds ? «Ce sont les bruits que [nous] faisions en rangeant les affaires.»

—  Pierre C., l'un des policiers

Pierre C. explique que dans le fourgon ses collègues «ont dû le maintenir au sol en usant de la force nécessaire», «par mesure d’hygiène» car «il était couvert de vase, sale et mouillé», et aussi parce qu’il ne «fallait pas qu’il se blesse avec le matériel entreposé dans le camion». Pourquoi Samir E. crie-t-il ? «Je pense que ce sont des cris de détresse, les mêmes qu’il poussait quand il était dans l’eau, je pense qu’il crie parce que les collègues le maintiennent au sol dans le fourgon»,avance le policier. Les bruits sourds ? «Ce sont les bruits que [nous] faisions en rangeant les affaires.» Et le fait que l’on entend Samir E. dire «madame, il m’a tapé» ? «En étant maintenu au sol par mes collègues, il a pu croire qu’il avait été tapé.»

Ses collègues avancent pratiquement les mêmes explications. Le policier Thomas B., explique de son côté que «les bruits de tôle, c’est en tapant ses pieds contre le sol du fourgon» et «du matériel que le gardien de la paix [Célestine] J. continue de ranger». Cette dernière dit qu’elle a «relevé tous les sièges» et «écarté [le] matériel de maintien de l’ordre». Elle ajoute que si le plaignant a été maintenu au sol, c’est «pour sa sécurité», «du fait qu’il venait de manquer de se noyer» et aussi que «cela était préférable car il était agité» : «Il s’est mis à gesticuler dans tous les sens, et il gémissait. Pour moi, il était paniqué par cette situation. Je pense que le fait de l’allonger au sol ne l’a pas rassuré du tout. Il a dû être très étonné d’être allongé au sol.» Un récit quasiment repris au mot près par chaque policier présent.

«Empêcher la poursuite des fonctionnaires de police»

Au-delà des déclarations de Samir E., des bruits et des cris que l’on entend dans la vidéo, les constatations médicales réalisées dix jours après l’interpellation font état de plusieurs blessures légères, évaluées à un jour d’interruption temporaire de travail (ITT). Insuffisant pour renvoyer les policiers devant le tribunal pour violence selon le parquet de Bobigny. La justice n’a d’ailleurs pas jugé bon d’organiser une confrontation entre le plaignant et les policiers. «Depuis le début de l’affaire, tout a été mis en œuvre pour empêcher la poursuite des fonctionnaires de police»,dénonce Arié Alimi, l’avocat de Samir E, qui a déposé une plainte pour obstacle à la manifestation de la vérité et veut poursuivre les autres policiers pour les violences avec une procédure de citation directe.

Côté administratif, un conseil de discipline s’est prononcé sur les manquements déontologiques concernant Pierre C. et a proposé trois jours d’exclusion comme sanction. Contactés pour connaître la position de l’administration sur les faits relatifs aux autres policiers et savoir si d’autres procédures disciplinaires sont en cours, le ministère de l’Intérieur et la Direction générale de la police nationale n’ont pas souhaité répondre. Maître Laurent-Franck Lienard, qui défend Pierre C., n’a pas non plus voulu réagir mais fait savoir qu’il demandera un report de l’audience, car son client n’a pas reçu la citation à comparaître. Un problème d’adresse, selon le parquet de Bobigny.

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