Face à la menace d’un duel Macron-Le Pen en 2022 et l’effritement du «barrage républicain», les partis savent qu’une alliance au premier tour est la seule solution... mais trouvent toutes sortes de raisons pour ne pas la concrétiser. Si des accords semblent possibles au niveau régional, comme dans les Hauts-de-France, ils paraissent hors de portée au niveau national. Passage en revue des obstacles.
par Rachid Laïreche et Charlotte BelaïchUne situation complexe : les dirigeants de gauche ressemblent à une très grande majorité des citoyens, ils ne veulent pas d’une autre finale entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen. Une nouvelle élimination de la gauche au premier tour de la présidentielle serait dramatique et elle ne serait pas certaine de s’en relever. Les différentes figures rouges, roses ou vertes en sont bien conscientes et parlent toutes de rassemblement. Les différences sur le fond ? Pas question de planquer sous le tapis les divergences sur l’Europe ou l’économie, mais elles ne sont pas insurmontables pour autant. Le hic : chaque couleur se voit porter le drapeau. Le temps presse. La présidentielle arrive vite − treize mois − et une dynamique ne se fait pas d’un coup de baguette magique. Une autre réalité : même rassemblée, la gauche n’est pas certaine de rafler une mise alors divisée... Cette semaine, un phénomène rare s’est produit : une alliance, dans le nord du pays, qui regroupe Europe Ecologie-les Verts (EE-LV), le Parti socialiste (PS), le Parti communiste (PCF) et La France insoumise (LFI). Fin juin, l’écologiste Karima Delli tentera de détrôner la droite de Xavier Bertrand, installée en 2015 dans un hôtel de région que la gauche avait occupé sans discontinuer depuis 1974. Preuve que (parfois) l’union est possible à l’échelon local. Mais alors, pourquoi ça bloque ?
Régionales : le premier test
Les prochaines élections locales (13 et 20 juin) auraient pu préfigurer l’union présidentielle. Une première étape, plus simple : pas de désaccords criant à cette échelle et, avec les départementales organisées le même jour, plein de places à se partager. Le PS, le PCF et les insoumis espéraient des accords nationaux : à toi l’Ile-de-France, à moi la Bretagne. Mais les écolos ont décliné. La faute à leur organisation partisane : chez eux, chaque région est autonome. Ce sont donc les dirigeants locaux qui décident des alliances. Ça tombe bien, car après leurs succès aux européennes et aux municipales, les Verts veulent poursuivre leur entreprise d’affirmation : se lancer seuls au premier tour en espérant arriver devant les alliés du second et, ainsi, faire comprendre qui mène désormais la gauche. Lorsque l’accord dans les Hauts-de-France a été annoncé, tout le monde a applaudi. Mais les mêmes qui ont dit bravo chez les autres se disputent chez eux. Quand elles ne se sentent pas trop menacées par les droites, les gauches se toisent. Elles attendent les résultats pour parler des choses sérieuses en ayant une idée des forces de chacun. Un écolo résume : «Chacun présente son programme au premier tour, c’est une sorte de primaire : ça peut se comprendre mais il ne faudrait pas tomber dans le refus du dialogue et les attaques.» Cela laisse forcément des traces.
EE-LV : une primaire qui dérange
Elle est placée au milieu du décor. La primaire d’EE-LV aura lieu à la fin du mois de septembre. Les règles ne sont pas encore officielles. La liste des candidats en gestation. On devrait y retrouver, derrière l’eurodéputé Yannick Jadot, l’ancienne numéro 2 du parti, Sandrine Rousseau, et le maire de Grenoble, Eric Piolle. D’autres ? Peut-être l’ex-ministre de l’Environnement de Jacques Chirac Corinne Lepage, sûrement l’ancienne ministre de l’Ecologie de François Hollande Delphine Batho, voire le député ex-marcheur Matthieu Orphelin, un proche de Nicolas Hulot. Le timing interroge les gauches. Le premier secrétaire du PS, Olivier Faure, expliquait récemment : «Pourquoi une primaire entre eux ? Pourquoi en septembre ? Ça freine toutes les discussions. La situation est étrange : nous devons attendre qu’ils désignent leur candidat avant de discuter.» Le calendrier des écologistes pousse donc les socialistes à s’organiser dans leur coin. Pas question d’attendre la fin du mois de septembre pour prendre des décisions. Cet été, les Verts seront en pleine campagne interne pendant que les roses présenteront leur programme présidentiel. Une autre question : que fera le champion de la primaire ? On se souvient que la dernière fois, en 2016, le vainqueur se nommait Yannick Jadot. Quelques semaines après, il s’était finalement rangé derrière le socialiste Benoît Hamon. Une première pour les écolos, qui présentent leur propre candidat depuis René Dumont en 1974. La suite, tout le monde la connaît : 6,4% des voix à la présidentielle pour le socialiste uni aux écologistes. Cette fois, ces derniers jurent la main sur le cœur qu’ils iront au bout. Les prétendants expliquent les uns après les autres qu’ils feront le nécessaire pour rassembler les gauches derrière eux. Et l’inverse ? Aujourd’hui, les Verts ne veulent pas en entendre parler.
PS : le risque de la condescendance
Le problème, c’est que leurs aînés socialistes ne veulent pas laisser la place. Depuis que Faure, arrivé à la tête du PS en 2018, prône l’union quitte à se mettre en retrait, une partie des troupes s’étrangle. Dans leur logiciel, ils restent la force centrale de la gauche. Leur argumentaire : certes, les écolos font de bons scores, mais qui a le plus d’élus ? Un état d’esprit qui se traduit dans les discussions avec les partenaires. Les Verts, notamment, déplorent souvent la condescendance des roses qui arrivent à la table des négociations en pensant distribuer les places derrière eux. «Il y a une génération qui n’a jamais envisagé autre chose que la réaffirmation d’une identité socialiste, sans qu’on sache toujours ce que c’est, admet Gabrielle Siry, porte-parole du PS. Mais à partir du moment où on prône l’union, c’est logique de dire qu’on peut envisager que ce soit derrière une autre force.» Pour certains socialistes, l’absence d’un des leurs à la présidentielle signifierait au contraire la disparition du parti. Pour montrer que leur espèce est peut-être en danger mais pas encore éteinte, ils étaient même prêts à présenter une candidature de témoignage quitte à tirer un trait sur la victoire en 2022. L’hypothèse d’une candidature d’Anne Hidalgo leur a donc fait pousser un long soupir de soulagement. Résultat : les mêmes qui observaient la maire de Paris avec dédain encensent aujourd’hui la meilleure d’entre eux.
Bataille d’ego : tous perdants
Les machines partisanes ne sont pas seules responsables du blocage. La volonté de chaque prétendant à l’Elysée y participe aussi. Mélenchon, Hidalgo, Jadot, Piolle, Rousseau... tous ceux qui pensent à 2022 jouent au bras de fer. Ils savent que, tous candidats, ils seront tous perdants. Mais qui cédera en premier ? A plus d’un an de la présidentielle, ils se regardent monter et descendre dans les sondages. Chacun espère que le socle du concurrent s’effritera, le poussant à se retirer pour ne pas être tenu responsable de la défaite. L’écolo Jérôme Gleizes analyse : «Tant que les sondages ne bougeront pas, les gens ne bougeront pas. Personne ne va vouloir faire moins de 7%. Si trois candidats restent entre 7% et 12%, ce sera le pire scénario : ça ne permet pas de gagner, mais personne n’est humilié.» Cette période de latence n’est pas synonyme de passivité. Encouragé par les entourages, on se montre, on se démarque et on se cogne parfois, espérant apparaître comme la meilleure alternative au duel annoncé entre Le Pen et Macron. Les écolos en ont fait l’expérience, quand la maire socialiste de Paris les a accusés d’être «ambigus» dans leur rapport à la République. Un jeu qui ne facilite pas les discussions : il dégrade les relations entre les uns et les autres, quand elles ne sont pas déjà abîmées.
LFI : qui m’aime me suive
Jean-Luc Mélenchon est, lui, déjà en campagne. Début novembre, l’insoumis a organisé une petite réunion avec ses proches pour mettre au point les derniers détails. Il a annoncé sa candidature le lendemain. L’union de la gauche ? Mélenchon se tient à l’écart. Pas de temps à perdre avec les discussions. Il répète souvent : les désaccords sont nombreux et ne se règlent pas «sur un coin de table». Une alliance entre les écologistes et les socialistes ? Il fait mine de s’en moquer. Aujourd’hui, il y croit peu. Demain est un autre jour. Une tête pensante du PS voit les choses comme ça : «La gauche divisée est une bonne nouvelle pour lui car il est le plus fort individuellement, il espère devenir le vote utile. Mais si une alliance pousse à côté de lui, sa stratégie peut se retourner contre lui.» Le futur le dira. En attendant, il brandit son programme, l’Avenir en commun, pour tenter de rassembler le maximum d’âmes autour de lui. La réalité : une grande alliance qui réunit toute la gauche – des socialistes aux insoumis – est un songe. La course est lancée. Certains rêvent secrètement du scénario suivant : un Mélenchon distancé qui se range derrière un autre candidat de gauche dans la dernière ligne droite. Un scénario à la saison 3 de Baron noir, la série politique de Canal+. Le député LFI de Seine-Saint-Denis Alexis Corbière pose la question autrement : «Demain, si nous sommes en tête de tous les sondages, est-ce que le reste de la gauche, comme vous dites, se rangera derrière nous ?» Le serpent se mord la queue.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire