La politologue de 32 ans, ancienne conseillère à Matignon sous Ayrault et Valls, est une spécialiste de l’opinion qui pointe la progression du populisme et la défiance envers les élites.
par Virginie Bloch-Lainé et photo Frédéric StucinElle est grave, mais pas au sens où l’entendent les jeunes. Elle est réservée. Alors que tout lui réussit, qu’on la lit dans les journaux et qu’on la voit souvent à la télé, la politologue en vogue ne se comporte pas en conquérante. Sa méfiance se lit sur son visage. Poids plume, elle paraît fraîche émoulue d’une classe de terminale. Elle est rock du bas et sage du haut. Son pantalon en cuir noir parsemé de motifs de treillis kaki, ses bottes de motarde et sa ceinture rose sont tempérés par un blazer et une écharpe bleue passe-partout. Drôle de mélange.
Nous la rencontrons chez Gallimard, l’éditeur de son nouvel essai. «On a parfois envie de lui dire d’être moins sérieuse», observe Manuel Valls. Chloé Morin a travaillé deux ans à son cabinet alors qu’il était Premier ministre. A 26 ans, elle était en charge des analyses d’opinion. Valls appréciait l’originalité de ses conclusions, à la fois travaillées et intuitives : «Elle était précieuse. Chloé est loin de la pensée toute faite. Elle va peser dans le débat d’idées.» Chloé Morin faisait partie du cabinet du prédécesseur de Valls, Jean-Marc Ayrault. Olivier Faure avait repéré qu’elle était talentueuse et avant lui, Martin Hirsch l’avait compris aussi. Elle lui a envoyé sa candidature quand elle a estimé qu’il était temps pour elle de gagner sa vie : «Mon CV est arrivé dans le creux du mois d’août, c’est sans doute pour ça que Martin y a fait attention.» Assurément ambitieuse, elle ne pèche pas par excès de confiance. Elle est complexe, contradictoire. Hirsch siégeait dans une commission qui planchait sur un socle de protection sociale universelle : «Je devais étudier différents systèmes. J’ai commencé à comprendre ce qu’était la décision politique.» Elle avait seulement 22 ans.
La rigueur et l’intelligence que dégage Chloé Morin lorsqu’elle s’exprime sont évidentes. De gauche, «vallsiste en ce qui concerne la laïcité», l’«experte associée à la Fondation Jean-Jaurès» est l’analyste politique qui monte dans un milieu où, remarque-t-elle, «toutes les têtes de pont sont des hommes, sauf la patronne du département opinion de BVA. Les médias étant soucieux de parité, c’est ce qui a permis que j’y aie accès plus facilement». Pas seulement, évidemment. Télés et radios l’invitent pour commenter le sujet du moment : la défiance de l’opinion envers les élites et l’essor du populisme, dans lequel elle voit le symptôme et non la cause d’une crise de la démocratie. C’est le thème de son nouveau livre. Il y a quatre mois seulement, elle en publiait un autre, sévère envers la haute fonction publique et l’entre-soi qui s’y cultive, les Inamovibles de la République : «Des collègues disent que je l’ai écrit pour me faire de la publicité.» L’opinion publique, c’est vrai, ne porte pas les énarques dans son cœur. Le texte ne fait pas de quartier, il met tous les hauts fonctionnaires dans le même panier. Valls : «Je lui ai rappelé - d’ailleurs elle en convient - qu’elle a aussi rencontré des hauts fonctionnaires remarquables.» Les énarques en effet ne se comportent pas tous comme Marc Guillaume.
«Ma ligne politique est plutôt celle [de Macron], sauf pour la laïcité, parce que je ne le trouve pas clair. Mais je n’allais pas voter Hamon.»
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Le rythme soutenu de ses publications surprend. Anne Sinclair l’a rencontrée par l’intermédiaire de la Fondation Jean-Jaurès et admire la qualité de ses textes, «écrits à la vitesse de la lumière.» «Elle écrit vite et bien», renchérit Frédéric Dabi, directeur général adjoint de l’Ifop. Il l’a connue au cabinet d’Ayrault. Les instituts de sondages fournissaient à Morin des chiffres qu’elle analysait : «C’est une cérébrale, pas une communicante.» Ce qui ne veut pas dire qu’elle méprise la communication : «La politique, c’est de la communication. Le côté : “Traçons notre route, les Français ne nous comprennent pas parce qu’ils sont débiles, donc on ne leur explique rien et à la fin, ça paiera”, non merci. La démocratie, c’est autant faire que faire savoir.»La célébration de la victoire d’Emmanuel Macron à La Rotonde l’a choquée, mais elle a voté pour lui aux deux tours : «Ma ligne politique est plutôt la sienne, sauf pour la laïcité, parce que je ne le trouve pas clair. Mais je n’allais pas voter Hamon.»
Chloé Morin n’est pas chaleureuse. Elle est néanmoins agréable. Sans chichis, elle va droit au but, il n’y a pas de gras. L’intérieur de ses poignets est tatoué, les quatre éléments d’un côté, de l’autre l’unalome, «un truc bouddhiste qui symbolise le cheminement vers la connaissance».Comment la qualifier ? Chloé Morin n’est pas un bulldozer. Disons qu’elle est une force vive. Ses deux parents sont médecins généralistes en Ardèche. Elle a grandi à Vallon-Pont-d’Arc : «Beaucoup de touristes l’été, pas grand-chose à faire l’hiver.» Inscrite dans un établissement catholique d’Aubenas, elle y apprend l’anglais de façon intensive : «Comme tous les gens de la classe moyenne, mes parents visaient ce qu’il y avait de meilleur pour moi.» Bachelière avec un an d’avance, elle envisage une prépa HEC au Lycée du Parc à Lyon, mais une patiente de son père lui conseille Sciences-Po. Elle est admise, à Paris. «Autant dire que j’ai détesté», à cause du fossé culturel qui séparait Parisiens et provinciaux. Chloé Morin est souvent désabusée. La matière où elle se sentait à l’aise était l’économie, enseignée par un prof «charismatique», DSK. Puis elle est partie un an à la London School of Economics : «C’était passionnant et moins snob que Sciences-Po. J’ai fait de la recherche en histoire économique. Il s’agissait de savoir pourquoi certaines économies se développent et d’autres pas. J’ai commencé à m’intéresser à l’analyse des sociétés au sens large.»
Chloé Morin vient de fonder son cabinet de conseil après un bref passage chez Ipsos («Je ne peux pas travailler sur ce qui ne me passionne pas»). Elle dit ne pas bien gagner sa vie, mais «la stabilité compte davantage pour moi que l’enrichissement.» Elle habite seule, à côté du marché d’Aligre. Sans élaborer un plan de carrière, elle sait qu’elle ne veut être «ni apparatchik, ni élue».Pourtant, la politique la passionne : «A cause de la façon dont les idées cheminent à travers la société. Et je suis intuitive, j’aime me mettre à la place des gens.» La lecture de romans lui permet d’aiguiser sa connaissance de la vie psychique. Mais n’est-elle pas en train de rejoindre l’élite qu’elle critique ? «Un copain m’a fait cette remarque. Ça m’énerve. Ce n’est pas parce que je passe à la télé que je fais partie de l’élite. Je continue de m’identifier à ceux qui n’ont pas de réseaux.» Au moment de nous quitter, elle dit : «Vous pouvez aussi contacter des gens de droite pour le portrait. Je m’entends bien avec Xavier Bertrand par exemple.»
28 février 1988 Naissance à Saint-Martin-d’Hères (Isère).
2005 Sciences-Po Paris.
2012 Cabinet d’Ayrault.
2014 Cabinet de Valls.
2020 Les Inamovibles de la République (L’Aube).
Février 2021 Le Populisme au secours de la démocratie ? (Gallimard, coll. «Le Débat»).
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