Le projet de loi constitutionnelle sur le climat, qu’Emmanuel Macron proposait de soumettre par voie référendaire, a toutes les chances d’échouer. Une aubaine pour le président de la République qui, comme tous ses prédécesseurs, redoute l’utilisation de ce levier institutionnel.
L’Assemblée nationale examine, depuis quelques jours, un projet de loi constitutionnelle qui a toutes les chances de ne jamais aboutir. Un article, un seul, prévoyant d’inscrire dans la Constitution que la France « garantit la préservation de l’environnement et la diversité biologique et lutte contre le dérèglement climatique », comme s’y était engagé Emmanuel Macron, mi-décembre, devant la convention citoyenne pour le climat (CCC). Ce jour-là, le chef de l’État avait dégainé ce va-tout dans l’espoir de cacher ses renoncements sur tous les autres sujets portés par la CCC.
Un deuxième texte, comprenant lui 69 articles, est actuellement discuté en commission au Palais-Bourbon. Mais les 150 volontaires, tirés au sort, qui avaient planché sur le sujet ont d’ores et déjà fait savoir que la traduction législative de leurs travaux était pour le moins décevante. Dix-sept mois après les débuts de leur mission, ils ont adressé, fin février, une note générale de 3,3 sur 10 à la reprise de leurs propositions. Resterait en outre cette modification constitutionnelle que le président de la République a promis de soumettre au référendum, en soulignant toutefois qu’elle devait « d’abord passer par l’Assemblée nationale puis le Sénat et être votée en des termes identiques ».
C’est là tout le problème, que résumait en ces termes Benjamin Morel, maître de conférences en droit public à l’université Paris II Panthéon-Assas, dès le mois de décembre : « Avant de soumettre une révision constitutionnelle à référendum, il va falloir l’aval du Sénat selon les dispositions de l’article 89… et c’est loin d’être gagné… encore moins vu le peu de temps restant dans le calendrier parlementaire… un référendum fort peu certain donc. » La droite sénatoriale, majoritaire au Palais du Luxembourg, n’a d’ailleurs pas tardé à signifier qu’elle avait compris les « arrière-pensées » politiques du pouvoir exécutif.
« Nous allons examiner de manière ouverte et positive le texte », assurait le président Les Républicains (LR) du Sénat, mi-janvier, estimant qu’il « n’est pas illégitime de souhaiter une meilleure prise en compte de la préservation de l’environnement ». À ce moment-là, Gérard Larcher avait toutefois posé un certain nombre de conditions à l’aval de sa majorité, à commencer par le fait de « ne pas inscrire dans le préambule de la Constitution ce principe de la protection climatique », mais de « le mettre dans un article au même niveau que d’autres libertés fondamentales, l’égalité entre l’homme et la femme, la liberté d’entreprendre ».
La droite sénatoriale a aussi émis des réserves quant à l’utilisation du terme « garantir », bien trop contraignant à ses yeux. Réserves également soulevées par le Conseil d’État, pour qui l’usage de ce terme pourrait avoir des effets « potentiellement puissants et largement indéterminés », puisque le projet imposerait ainsi une « quasi-obligation de résultat » dont les conséquences sur l’action et la responsabilité des pouvoirs publics « risqueraient d’être plus lourdes et imprévisibles que celles issues du devoir de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement » liées à la Charte de l’environnement, intégrée au « bloc de constitutionnalité » en 2005.
En 2018, le gouvernement avait tenté d’éviter cet écueil en déposant un premier projet de loi constitutionnelle « pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace » dont l’article 2 prévoyait d’ajouter une référence à « l’action contre les changements climatiques » dans l’article 34 de la Constitution, mais avec le verbe « favoriser ». « Je ne garantis pas que le terme “garantir” donne un résultat très positif à tout cela », résume un ministre, qui rappelle qu’un certain nombre de secteurs – il cite notamment les entreprises et les agriculteurs – pourraient y voir un danger bien trop grand pour la suite de leurs activités.
À l’Assemblée, les députés LR ont déposé la moitié des quelque 400 amendements actuellement discutés dans l’hémicycle. « Parmi ceux-ci, souligne l’écologiste Matthieu Orphelin, plus d’une vingtaine […] portent sur le verbe d’action “garantit” (la préservation de l’environnement et de la diversité biologique) que la droite voudrait remplacer par “préserve” ou “agit pour”. » Des débats qui préfigurent, selon lui, la position du Sénat, avec lequel il regrette que le gouvernement n’ait pas engagé une véritable concertation. « Puisqu’il faut l’adoption d’un texte identique par les deux chambres, ne perdons pas de temps à discuter du sexe des anges ! », dit-il.
Les obstacles sont donc nombreux avant d’imaginer qu’un texte, voté dans les mêmes termes par les deux chambres, puisse être soumis au référendum, voie qui nécessiterait par ailleurs de trouver une date pour convoquer les électeurs, dans un contexte épidémique incertain et à quelques mois de la présidentielle. Selon plusieurs sources gouvernementales interrogées par Mediapart, il pourrait y avoir « une fenêtre de tir » au mois de septembre, voire d’octobre, mais à dire vrai, peu de monde y croit vraiment. « Personne n’est en mesure de donner une date pour le référendum, tout simplement car il n’aura pas lieu », affirme Matthieu Orphelin.
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, cette absence de consensus entre l’Assemblée et le Sénat est une aubaine pour Emmanuel Macron. Car l’usage du référendum a toujours fait peur aux présidents de la République. « Quand bien même on se mettrait d’accord avec le Sénat, il ne faudrait pas que les gens répondent à une autre question que celle qui est posée… », souffle un ministre. C’est le risque que fait courir le « détournement de l’institution », selon les mots de Laurence Morel, maître de conférences à l’université de Lille et chercheuse associée au Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof).
« Ça s’est toujours mal terminé pour les présidents », rappelle-t-elle, égrenant les quelques référendums organisés à leur initiative sous la Ve République, dont celui sur « le projet de loi relatif à la création de régions et à la rénovation du Sénat » du 27 avril 1969, qui avait conduit Charles de Gaulle à la démission. La chercheuse cite aussi « la pire expérience », celle de 2005, lorsque le projet de traité constitutionnel européen fut rejeté par les Français, au terme d’une longue campagne des pouvoirs publics en faveur du « oui ». « Preuve du traumatisme, dit-elle, plus aucun référendum n’a été organisé depuis. Initialement, le référendum n’est pas censé être un outil de relégitimation du président de la République, mais il y a eu un glissement d’enjeu. Désormais, ils ont trop peur que ça se retourne contre eux. »
C’est aussi ce que reconnaissent plusieurs membres de la majorité et du gouvernement interrogés par Mediapart. « Le référendum ne doit pas être un exercice plébiscitaire », affirme un ministre qui regrette « l’incapacité de la France à produire un débat qui puisse être tranché par un référendum citoyen ». « Il y a deux outils qu’on ne va pas utiliser avant longtemps : le référendum et la dissolution. Ce sont deux traumatismes », ajoute un député La République en marche (LREM), qui aimerait « dépolitiser les référendums » : « Il faudrait multiplier les initiatives locales. Car si le référendum est juste un outil utilisé à la discrétion d’un chef de l’État, on se dit qu’il en attend forcément quelque chose. »
LIRE AUSSI
Les institutions de la Ve République offrent au chef de l’État plusieurs leviers démocratiques qu’Emmanuel Macron a écartés au moment de la crise des « gilets jaunes », arguant qu’ils ne résoudraient rien : un changement de gouvernement, et donc de premier ministre ; une dissolution de l’Assemblée ; un référendum. Le premier de ces leviers a finalement été utilisé à l’été 2020, au sortir de la première vague épidémique, pour remplacer Édouard Philippe par Jean Castex. Et effectivement… Ça n’a pas changé grand-chose. « Notre régime fonctionne vraiment mal, déplore Laurence Morel. Le référendum, c’est un peu comme les primaires : les responsables politiques trouvent l’outil intéressant, jusqu’au moment où il ne donne plus le résultat qu’ils escomptaient. »
Pour la chercheuse, il faudrait revoir plus profondément notre système institutionnel, afin d’offrir davantage de respirations démocratiques entre deux élections présidentielles. Mais il faudrait aussi, pour ce faire, « favoriser les initiatives qui viennent d’en bas ». « L’avenir, c’est le référendum d’initiative partagée », affirme-t-elle, évoquant ce dispositif prévu par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, mais conçu de façon beaucoup trop contraignante pour être réalisable, comme l’a prouvé l’échec de la procédure engagée, au printemps 2019, sur la question de la privatisation d’Aéroports de Paris (ADP). À l’époque, Emmanuel Macron avait annoncé son intention d’en simplifier les modalités, avant de ne surtout rien faire pour éviter que son projet ne tombe, lui aussi, à l’eau.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire